Premières lignes #305

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

Première partie

 

Je vis en marge de la société,
et les règles de la société normale
n’ont pas cours parmi les marginaux.
TAMARA DE LEMPICKA.

Mes trois premières années à la fac de médecine se soldèrent par un lamentable échec. Je me souviens de cette lumineuse journée de juin, des marchandes de quatre-saisons qui vantaient leurs primeurs sous un soleil de plomb, de ce ciel serein où les nuages s’effilochaient sans tenir. J’ai marché longtemps, ballottée par le flot des badauds, passant et repassant les ponts dorés ou noircis qui relient les deux rives de la Seine.
Allais-je continuer, me présenter à la session de septembre, ou bien renoncer. Renoncer… ce mot battait mes temps, me faisait courir soudain sans but. Puis je retombais dans l’abattement. Accoudée à des zinc frais, je basculais dans une rêverie chaude et alcoolisée.
Je rentrai chez moi, ivre de fatigue et de dégoût, titubant tristement dans les escaliers qui menaient à une minable chambre d’étudiant. Le confort en était banni, les propriétaires considérant sans doute que l’étudiant n’avait aucun besoin d’hygiène. On était intellectuel, donc pauvre, donc sale… Une fois les examens passés, et réussis, les chapeaux se soulevaient, les lèvres réapprenaient le sourire, une sorte de respect renaissait comme par enchantement, et l’espoir de l’argent qui allait enfin tomber à chaque fin de mois faisait de l’ex-étudiant et du bourgeois des alliés inconscients.
Devais-je renoncer à l’ambiance de ce monde que j’aimais, pantalons de velours, cols roulés en toute occasion, pipes de bruyère et grosses lunettes d’écaille ? Soirées interminables à la Contrescarpe, autour des bougies fumantes et alignements de bouteilles non cachetées ? Devais-je désormais vivre autrement, une vie intellectuellement moins riche, mais financièrement plus confortable ?

Gigola, Laure Charpentier, 2002.

Gigola

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