Salutations !
Aujourd’hui, ce sont les premières lignes d’un roman qui commence fort puisque, là où le Dr Karma dans Le chœur des femmes de Winckler prône le bien-être et la bienveillance envers les patientes, ici, on est tout de suite dans des violences gynécologiques (TW). Âmes sensibles, s’abstenir. Et donc, ce roman dont je vous partage les premières lignes est un livre que j’ai vu passer sur la chaîne d’Opalyne : On noie bien les petits chats (j’espère aimer autant qu’elle). Il s’agit d’un thriller psychologique ; une femme est sur le point d’accoucher.
Bon dimanche à vous.
Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡
PARTIE 1
Dimanche 5 avril
Elle palpe ton abdomen tendu puis, sans prévenir, fourre ses doigts dans ta vulve, jusqu’à la garde. Tu sursautes, électrisée, et ton vagin, aussitôt, se contracte pour chasser l’intruse.
– Si vous ne me laissez pas vous examiner, on ne va pas y arriver ! gronde la sage-femme.
– Je suis désolée…
Pour un peu, tu t’excuserais de ce que ton corps se rebelle. Malgré la contracture spasmodique qui s’y oppose, elle s’acharne, bien décider à examiner ton col. Tu te tortilles, tentes de refermer tes cuisses.
– Arrêtez ! Vous me faites mal.
Elle grimace.
Cessez donc de vous conduire comme une gamine !
Les larmes coulent sur ton visage. La sage-femme n’y prête pas attention et tente de passer en force. Tu cries. Elle soupire.
– Bon, j’ai assez perdu de temps. Croyez-moi, vous n’accoucherez pas aujourd’hui.
Tu la dévisages, incrédule. Cinquante ans, le cheveu rare, des lunettes à la mode et un air de mépris sidérant. Pourvu que tu n’accouches pas avec elle…
Elle retire sa main, son gant, le peu d’humanité qui lui restait.
– Rhabillez-vous, vous pouvez rentrer chez vous.
Elle a l’assurance des professionnels expérimentés à qui on ne la fait pas. Elle arrête le monitoring puis te libère de l’épaisse ceinture de capteurs. Tu te redresses, médusée.
– Mais, les contractions…
Elle lève les yeux au ciel.
– Puisque je vous dis qu’il n’y a pas de contractions ! Vous voyez bien !
Elle arrache le ruban de l’appareil et te montre une courbe plate. Son geste est appuyé, rageur, comme on tance une petite fille qui s’obstine dans sa bêtise. Une heure que tu es là, allongée, à haleter telle une jument qui va pouliner et, sur le papier, pas la moindre trace de contraction utérine. Tu rougis, prise en flagrant délit de te plaindre pour rien. Tu lui fais perdre son temps, tu n’es qu’une emmerdeuse. Tu n’oses pas rétorquer qu’une machine peut se tromper, un capteur ne rien capter.
Tu descends sans aide du lit d’examen et entreprends de te rhabiller, en t’appuyant contre le mur. Tes pieds sont tellement gonflés que tu as du mal à enfiler tes chaussures. Tu as les mollets comme des poteaux téléphoniques, la peau distendue et brillante. Tu tires sur ta robe pour masquer ce désastre. La grossesse n’a été, pour toi, qu’une longue suite de déconvenues, tu te détestes avec ce corps difforme.
Tout de même, tu ne peux pas te résoudre…
On noie bien les petits chats, Françoise Guérin, 2022.

On noie bien les petits chats
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