Premières lignes #365

Nouveau dimanche, nouvelles premières lignes ! J’ai opté pour un roman dont les retours m’ont fait envie et qui entre, en prime, dans le cadre du challenge des Dames en noir. Vous pouvez vous en douter, je compte le lire bientôt. Il s’agit des Moissons d’Erin Young. Avec un tel début, on ne peut que se demander ce qu’il va se passer ensuite, d’autant plus qu’il s’agit d’un polar.
Bon dimanche à vous 🌽

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

1

Elle courait sans réfléchir, sans savoir où elle allait, le désespoir la poussant à s’enfoncer toujours plus dans les champs. Piégée au milieu du labyrinthe oppressant des interminables rangées de maïs, elle sentait les épis mûrs accrocher ses cheveux et les feuilles lui fouetter la paume des mains tandis qu’elle se frayait un passage entre les hautes tiges. Pas une seule fois elle ne regarda en arrière.
Puis elle trébucha dans une ornière. La terre sèche roula sous ses pieds, dont l’un, déjà à moitié déchaussé, perdit sa basket. Elle ne chercha pas à la retenir, malgré les cailloux qui la blessaient à travers sa chaussette. Les oreilles bourdonnantes, elle continua à avancer sous le ciel nocturne nuageux. L’obscurité l’étouffait et les pollens soulevés par sa course lui irritaient les yeux. La voix de sa mère résonna dans sa tête. N’oublie pas tes médicaments, ma chérie ! Un sanglot lui échappa.
Ses poumons la brûlaient et le bourdonnement dans ses oreilles s’amplifia. Il y avait quelque chose dans les airs. Quelque chose qui se rapprochait. Une nouvelle vague de terreur la submergea lorsqu’un faisceau lumineux fendit la nuit en faisant chatoyer la canopée verte du maïs. Elle se jeta à terre et se mit en boule près d’un plant. Un drone décrivit un cercle au-dessus d’elle dans un bruit strident semblable à la roulette du dentiste. Une lueur pâle inonda ses paupières closes.
Au bout d’un moment, l’appareil s’éloigna.

Les moissons, Erin Young, 2022.

Les moissons

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Premières lignes #364

Hello !
Voici les premières lignes de ma lecture commune avec Kahlan et Tornade : Célestopol. A travers plusieurs histoires, l’auteur nous dépeint la cité éponyme dont la localisation se trouve nulle autre que sur la Lune.
Bon dimanche à vous 🌙

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

FACE CACHÉE

1913

La porte de la cabine s’ouvrit dans un chuintement étouffé.
– Billet, s’il vous plaît.
Anton releva distraitement la tête, encore sous le coup du décollage du traversier)obus. Tout en bas, dans l’étage réservé aux passagers les plus modestes, l’odeur de poudre se révélait vite entêtante.
Le jeune homme saisit son portefeuille et en extirpa tant bien que mal le précieux bout de papier. Le contrôleur considéra avec curiosité le fatras de notes et d’articles découpés à la hâte avant de poinçonner le billet. Ses moustaches s’étirèrent dans un étrange rictus.
– Moi qui pensais que votre portefeuille était plein de roubles !
– Parlez-en à ma rédactrice en chef ! répliqua Anton.
– Gratte-papier ? fit le contrôleur en lui rendant son billet. Attiré par l’odeur du sang ?
Le jeune homme ne tiqua pas. La plupart des gens n’avaient pas une haut opinion des journalistes, trop souvent accusés de détourner la vérité dans le seul but de vendre leurs feuilles de chou.
– Et on vous envoie à Célestopol ? renchérit le contrôleur. Vous en avez de la chance.

Célestopol, Emmanuel Chastellière, 2017.

Célestopol

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Premières lignes #363

Bien le bonjour !
Pour ces nouvelles premières lignes, je vous partage celles de La Malnata. Le roman sort le 22 mars, c’est le premier de Beatrice Salvioni et il me fait très envie. C’est l’histoire d’émancipation de deux adolescentes vivant dans l’Italie fasciste. Le récit commence de façon brutale et nul doute que ce genre de situation doit créer des liens.
Bonne lecture et bon dimanche à vous 📖

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

PROLOGUE

Ne le dis à personne

C’est difficile de se dépêtrer d’un corps mort.
Je l’ai découvert à douze ans, le nez et la bouche en sang, la culotte entortillée autour d’une cheville.
Les cailloux de la rive du Lambro me rentraient dans la nuque et les fesses, acérés comme des ongles, mon dos était plongé dans la boue. Son corps encore chaud, tout en angles vifs, me pesait sur le ventre. Ses yeux étaient luisants et vides, son menton maculé de salive, et sa bouche sentait mauvais. Avant de tomber, il m’avait fixée, le visage contracté par la peur, une main plongée dans son caleçon, les pupilles dilatées.
Il s’était effondré sur moi, ses genoux pressant encore mes cuisses qu’il avait tenues écartées. Il ne bougeait plus.
– Je voulais seulement qu’il arrête, dit Maddalena en se touchant la tête à l’endroit où le sang et la boue s’étaient coagulés dans ses cheveux. C’est lui qui m’a obligée.
Elle s’approcha dans sa robe légère qui lui collait à la peau, dessinant les contours de son corps sec et nerveux.
– J’arrive, dit-elle. Ne bouge pas.
Mais pour moi, il n’était pas question de bouger pour l’instant : mon corps était devenu une chose oubliée et lointaine, comme une dent tombée. Je sentais seulement le goût du sang sur mes lèvres et sur ma langue, et j’avais du mal à respirer.

La Malnata, Beatrice Salvioni, 2023.

La Malnata

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Premières lignes #362

Salutations !
Aujourd’hui, ce sont les premières lignes d’un roman qui commence fort puisque, là où le Dr Karma dans Le chœur des femmes de Winckler prône le bien-être et la bienveillance envers les patientes, ici, on est tout de suite dans des violences gynécologiques (TW). Âmes sensibles, s’abstenir. Et donc, ce roman dont je vous partage les premières lignes est un livre que j’ai vu passer sur la chaîne d’Opalyne : On noie bien les petits chats (j’espère aimer autant qu’elle). Il s’agit d’un thriller psychologique ; une femme est sur le point d’accoucher.
Bon dimanche à vous.

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PARTIE 1

Dimanche 5 avril

Elle palpe ton abdomen tendu puis, sans prévenir, fourre ses doigts dans ta vulve, jusqu’à la garde. Tu sursautes, électrisée, et ton vagin, aussitôt, se contracte pour chasser l’intruse.
– Si vous ne me laissez pas vous examiner, on ne va pas y arriver ! gronde la sage-femme.
– Je suis désolée…
Pour un peu, tu t’excuserais de ce que ton corps se rebelle. Malgré la contracture spasmodique qui s’y oppose, elle s’acharne, bien décider à examiner ton col. Tu te tortilles, tentes de refermer tes cuisses.
– Arrêtez ! Vous me faites mal.
Elle grimace.
Cessez donc de vous conduire comme une gamine !
Les larmes coulent sur ton visage. La sage-femme n’y prête pas attention et tente de passer en force. Tu cries. Elle soupire.
– Bon, j’ai assez perdu de temps. Croyez-moi, vous n’accoucherez pas aujourd’hui.
Tu la dévisages, incrédule. Cinquante ans, le cheveu rare, des lunettes à la mode et un air de mépris sidérant. Pourvu que tu n’accouches pas avec elle…
Elle retire sa main, son gant, le peu d’humanité qui lui restait.
– Rhabillez-vous, vous pouvez rentrer chez vous.
Elle a l’assurance des professionnels expérimentés à qui on ne la fait pas. Elle arrête le monitoring puis te libère de l’épaisse ceinture de capteurs. Tu te redresses, médusée.
– Mais, les contractions…
Elle lève les yeux au ciel.
– Puisque je vous dis qu’il n’y a pas de contractions ! Vous voyez bien !
Elle arrache le ruban de l’appareil et te montre une courbe plate. Son geste est appuyé, rageur, comme on tance une petite fille qui s’obstine dans sa bêtise. Une heure que tu es là, allongée, à haleter telle une jument qui va pouliner et, sur le papier, pas la moindre trace de contraction utérine. Tu rougis, prise en flagrant délit de te plaindre pour rien. Tu lui fais perdre son temps, tu n’es qu’une emmerdeuse. Tu n’oses pas rétorquer qu’une machine peut se tromper, un capteur ne rien capter.
Tu descends sans aide du lit d’examen et entreprends de te rhabiller, en t’appuyant contre le mur. Tes pieds sont tellement gonflés que tu as du mal à enfiler tes chaussures. Tu as les mollets comme des poteaux téléphoniques, la peau distendue et brillante. Tu tires sur ta robe pour masquer ce désastre. La grossesse n’a été, pour toi, qu’une longue suite de déconvenues, tu te détestes avec ce corps difforme.
Tout de même, tu ne peux pas te résoudre…

On noie bien les petits chats, Françoise Guérin, 2022.

On noie bien les petits chats

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Premières lignes #361

Bien le bonjour, cher·es lecturovores !
Récemment, j’ai rejoint un club de lecture IRL qui vient de se créer par chez moi. L’idée pour la prochaine rencontre étant de lire l’un des livres présentés le premier soir, je me suis tournée vers la nouvelle Récitatif de Toni Morrison. De cette écrivaine, Beloved ne m’avait pas autant emballée que ce à quoi je m’attendais ; L’œil le plus bleu était terrible mais je l’ai adoré. Quant à Récitatif, je vous en reparle bientôt sur le blog mais je peux d’ores et déjà vous dire que j’ai beaucoup apprécié. C’est pour cette raison que je partage avec vous les premières lignes de cette nouvelle – la seule écrite par Morrison.
Bon dimanche à vous.

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

Ma mère dansait toute la nuit et celle de Roberta était malade. Voilà pourquoi on nous à emmenées à St-Bonny. Les gens veulent vous prendre dans leurs bras quand vous leur dites que vous avez été dans un foyer, mais franchement, celui-ci n’était pas si mal. Pas une immense salle en longueur avec cent lits comme à Bellevue. Quatre par chambre, et quand on est arrivées, Roberta et moi, il y avait une pénurie de gosses à prendre en charge, donc on était les seuls affectées de la 406 et on pouvait aller d’un lit à l’autre, si on voulait. Et on voulait, en plus. On changeait de lit tous les soirs, et pendant les quatre mois entiers où on a été là-bas, on n’en a jamais choisi un seul pour être notre lit permanent.
Ça n’avait pas débuté comme ça. À la minute où je suis entrée et où Bozo le Clown nous a présentées, j’ai eu la nausée. Être tirée du lit tôt le matin, c’était une chose, mais être coincée dans un lieu inconnu avec une fille d’une race tout à fait différente, c’en était une autre. Et Mary, à savoir ma mère, elle avait raison. De temps à autre, elle s’arrêtait de danser assez longtemps pour me dire quelque chose d’important, et une des choses qu’elle a dites, c’était qu’ils ne se lavaient jamais les cheveux qu’ils sentaient bizarres. Roberta, c’est sûr. Qu’elle sentait bizarre, je veux dire. Donc quand Bozo le Clown (que personne n’appelait jamais Mme Itkin, de même que personne ne disait jamais St-Bonaventure) a dit : « Twyla, voici Roberta. Roberta, voici Twyla. Faites-vous bon accueil », j’ai répondu : « Ma mère, ça va pas lui plaire que vous me mettiez ici.
— Bien, a dit Bozo. Alors peut-être qu’elle va venir te chercher pour te ramener à la maison. »
C’est pas de la méchanceté, ça ? Si Roberta avait ri, je l’aurais tuée, mais elle n’a pas ri.

Récitatif, Toni Morrison, 1983.

Récitatif

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Premières lignes #360

Salutations, les ami·es !
Pour le choix de ces premières lignes, ça a été très simple ; je me suis réinscrite à la médiathèque et je suis repartie avec mon lot de bouquins. Et quand j’ai lu le début (je ne parle pas de l’incipit) du Chant des géants, j’ai eu envie de m’installer bien confortablement et d’écouter l’histoire que le narrateur a à nous raconter. Et c’est donc pour cette raison que mon choix s’est porté sur ce roman.
Bon dimanche à vous 📚

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Dans une auberge au royaume de Lonan

Entrez, entrez.

Asseyez-vous, n’ayez pas peur. Il reste de la place, là, au fond, près de la cheminée.
Oui. C’est bien. Très bien. Commandez des bières, des pommes braisées, ce que vous voudrez, mais faites vite. Vous autres, dans la paille, rapprochez-vous ; calez-vous contre les murs, les tonneaux, les pieds des tables.
Voilà…
Le feu ronfle, les bûches craquent. La nuit est tombée. Les marmites sont vidées.
Laissez-vous aller. Fermer les yeux. Juste un peu.
Et écoutez-moi.

Je vais vous raconter une histoire.
Celle de notre île d’Oestant où dorment trois géants : Baile, aux rêves de mort et de musique, Leborcham, mère du brouillard, des collines et des plaines, et enfin le puissant Fraech aux songes de gloires et de batailles.
Je vais vous parler de guerres, d’amour et de trahisons ; de cris, de sang et de larmes. 
Je vais vous parler de grands espoirs, de ce qui est vain. De ce qui meurt.

Alors, fermez les yeux.
Laissez-vous aller.
Voilà.

Mon histoire commence sur la lande, en bord de mer, dans le château de l’étrange roi Lothar.

Le chant des géants, David Bry, 2022.

Le chant des géants

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Premières lignes #359

Bien le bonjour, les lecturovores !
L’an dernier est sorti Mémoires de la forêt de Mickaël Brun-Arnaud et, le moins que l’on puisse dire, c’est que les retours ont été très bons. Ca a titillé ma curiosité mais je ne me suis pas ruée dessus. Ce n’est que récemment que j’ai fait l’acquisition de son roman et l’introduction, que je vous partage, me donne sacrément envie. Je vous laisse découvrir tout ça ci-dessous.
Bon dimanche à vous 🦊

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N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

Au cœur de la forêt du village de Bellécorce et dans les collines alentour vivent des animaux doués de raison, de parole et d’humour, qui portent des vêtements cousus de leurs propres pattes et concoctent des pâtisseries à vous retrousser les babines. Chaque jour depuis la nuit des temps, renards, oiseaux, souris, taupes et belettes partent travailler ou s’amuser, construisent une famille de sang et de cœur et façonnent ensemble la tendre histoire de leur existence. Dans ces Mémoires de la forêt, vous trouverez consignées les destinées grandioses de minuscules animaux qui ont foulé ces bois, animés par l’esprit d’aventure, le sentiment amoureux et la puissance de l’amitié. Car, s’il n’y a rien de plus beau que de créer de nouveaux souvenirs, il est encore plus satisfaisant de réussir à les écrire pour les partager avec ceux qu’on aime. Croisons très fort les pattes ; puissiez-vous ne jamais oublier les animaux que vous allez maintenant rencontrer et l’aventure que vous vous apprêtez à vivre…

Mémoires de la forêt, tome 1 : Les souvenirs de Ferdinand Taupe, Mickaël Brun-Arnaud, 2022.

Mémoires de la forêt, tome 1 : Les souvenirs de Ferdinand Taupe

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Premières lignes #358

Salutations !
Pour les premières lignes de ce week-end, voici Pars vite reviens tard de Fred Vargas, un livre que j’aimerais redécouvrir cette année. Après un premier chapitre des plus courts (le genre qui introduit des propos mystérieux que l’on comprendra plus tard), j’ai enchaîné et, si ça ne semble pas dire grand chose de l’intrigue pour l’instant, je dois bien admettre que j’ai trouvé le propos assez universel : qui n’a jamais eu l’impression que les objets se liguaient contre soi ? Je vous laisse découvrir tout cela dans les lignes qui suivent ☕️
Bon dimanche à vous.

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1

Et puis, quand les serpents, chauves-souris, blaireaux et tous les animaux qui vivent dans la profondeur des galeries souterraines sortent en masse dans les champs et abandonnent leur habitat naturel ; quand les plantes à fruits et les légumineuses se mettent à pourrir et à se remplir de vers (…)

2

Les types, à Paris, marchent beaucoup plus vite qu’au Guilvinec, Joss l’avait constaté depuis longtemps. Chaque matin, les piétons s’écoulaient par l’avenue du Maine à la vitesse de trois nœuds. Ce lundi, Joss filait presque ses trois nœuds et demi, s’efforçant de rattraper un retard de vingt minutes. En raison du marc de café qui s’était déversé en totalité sur le sol de la cuisine.
Ça ne l’avait pas étonné. Joss avait compris depuis longtemps que les choses étaient douées d’une vie secrète et pernicieuse. Hormis peut-être certaines pièces d’accastillage qui ne l’avaient jamais agressé, de mémoire de marin breton, le monde des choses était à l’évidence chargé d’une énergie tout entière concentrée pour emmerder l’homme. La moindre faute de manipulation, parce que offrant à la chose une liberté soudaine, si minime fût-elle, amorçait une série de calamités en chaîne, pouvant parcourir toute une gamme, du désagrément à la tragédie. Le bouchon qui échappe aux doigts en était, sur le mode mineur, un modèle de base. Car un bouchon lâché ne vient pas rouler aux pieds de l’homme, en aucune manière. Il se love derrière le fourneau, mauvais, pareil à l’araignée en quête d’inaccessibilité, déclenchant pour son prédateur, l’Homme, une succession d’épreuves variables, déplacement du fourneau, rupture du flexible de raccordement, chute d’ustensile, brûlure.

Pars vite et reviens tard, Fred Vargas, 2001.

Pars vite et reviens tard

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Premières lignes #357

Bien le bonjour, les lecturovores !
Aujourd’hui, je vous propose de lire avec moi les premières lignes de La louve de Cornouaille. Un début qui intrigue : qui a raconté quoi ? Qu’est-ce que cette personne a bien pu faire ? Avez-vous des idées ?
Sur ces interrogations, je vous souhaite un bon dimanche !

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Prologue

Bretagne, vers l’an 1070…

La porte de la chapelle se referma sur le visiteur. Pétrifié par ce qu’il venait d’apprendre, Konogan, évêque de la ville de Kemper, resta un long moment immobile, le visage blême. Puis, reprenant ses esprits, il tituba vers l’extérieur, vers le jardin qui jouxtait la cathédrale, comme si le saint lieu où il officiait depuis plus de vingt ans lui était devenu hostile. S’appuyant d’un bras tremblant sur le mur de granit, il se mit à vomir. Un jardinier se précipita aussitôt à son secours.
— Monseigneur ! Que se passe-t-il ?
Le prêtre leva la main pour le rassurer, puis vomit de plus belle. Le jardinier le contempla d’un œil à la fois désolé et affolé. Monseigneur n’était plus très jeune, mais encore bien gaillard. Peut-être avait-il mangé quelque chose de mauvais. La perspective qu’il pût être malade à cause de ses légumes l’angoissait, lui qui y apportait tant de soin. Mais l’évêque reprit son souffle et lui tapota l’épaule d’un geste apaisant.
— N’aie crainte, mon ami, souffla-t-il d’une voix sourde, cela va passer. Dieu m’apporte déjà son aide.
L’homme s’éloigna non sans lui jeter un regard inquiet. Konogan lui adressa un sourire un peu crispé. Puis il ferma les yeux et tenta de retrouver son calme. Malgré toute l’affection qu’il lui portait, le pauvre jardinier ne pouvait être d’aucun secours. Konogan aurait aimé se confier, partager avec quelqu’un les horreurs dont il venait d’être informé. Mais cela lui était défendu : quels que fussent les secrets appris lors d’une confession, il était formellement interdit de les trahir. Le confesseur d’une reine avait ainsi péri dans d’horribles tourments plutôt que de révéler au roi ce que son épouse lui avait confié dans le secret de la confession.
Konogan avait entendu nombre d’histoires effrayantes au cours de sa longue carrière religieuse. Cette fois pourtant, il avait l’impression d’avoir confessé Satan en personne.

La louve de Cornouaille, Bernard Simonay, 2007.

La louve de Cornouaille

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Premières lignes #356

Salutations, les lecturovores !
Je dois bien admettre que, cette fois, j’ai eu du mal à trouver le roman dont j’allais vous partager les premières lignes. Il y en a bien un que j’avais en tête mais je trouvais le début bien peu convainquant. Finalement, j’ai regardé du côté de mes livres numériques et j’ai choisi Devenir lionne.
Bon dimanche à vous 🦁

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PROLOGUE : UN BESTIAIRE

J’ai été et je suis tous les animaux.
Enfin, un certain nombre.
Poule, Poussin, Souris,
Cochonne ou Truie, Jument,
Gazelle, Biche, Lapine,
Louve, Chienne, Vipère,
Guenon,
Moule, Crevette, Baleine, Sardine,
Morue et Thon,
Puce, Mante religieuse,
Chatte, Panthère, Tigresse.

Et puis leurs variantes :
Bibiche, Bichette, Poulette,
Lapinette, Pupuce,
Minou, Minette, Chatasse,
Chiennasse,
Et j’en oublie.
J’ai même incarné quelques imaginaires : Dragon, Sphinge, et Licorne.

Chaque animale vient avec son lot de connotations et symboles implicites :
La chienne halète quand on la prend par derrière.
La vipère, venimeuse, médit de ses comparses.
La biche fait les yeux doux.
La lapine, un peu bête, se laisse caresser jusqu’à l’apoplexie.
Poulette, poule, poussin : ça se complique un peu. Les trois appartiennent à l’espèce des gallinacées, mais la connotation varie.
Poulette se veut mignon comme interpellation, est souvent précédé de l’adjectif possessif (ma poulette) connotant l’affection (ou bien le dédain, le mépris, voire la dérision), mais ça reste une volaille au cerveau minuscule, enfermée en basse-cour, à consommer rôtie.
La poule est plus mature, fera moins de manières, l’approche est plus directe et souvent tarifée. On peut en faire une soupe, sa carcasse donne du goût à tous les pot-au-feu.
Le poussin est petit, délicat, sans défense, il faut le protéger. C’est une ébauche de fille. Un qualificatif parfaitement adéquat pour enrober un peu la hiérarchie des sexes, tout en rappelant à l’ordre celle qu’il vient désigner (« Poussin, quand est-ce qu’on dîne ? Tu sais bien que j’ai faim quand je sors du bureau »).
Souris : sans commentaire (furtive, grise, un nuisible. Une vieille fille, en somme. Celle qui n’a pas trouvé à se faire encoupler).
Cochonne ou truie : tout dépendra bien sûr de l’intention de celui qui vous interpelle. La cochonne aime le sexe, c’est une fille facile. Elle baigne dans son auge, toute couverte de boue. C’est sale, d’aimer le sexe, faut-il entendre ici (le sous-texte implicite est qu’il faut aimer ça, mais ne pas l’afficher).
Jument : oui, j’ai mis bas, et comme beaucoup de femmes, j’ai la capacité d’un bon cheval de labour quant aux tâches domestiques. Comprenons par ici qu’on n’attend pas bien mieux de mon espèce que de se reproduire et labourer le champ (faire les courses, la vaisselle, les sols et la cuisine).
Gazelle : elle a une grâce certaine, tout en restant farouche. Gibier privilégié des fauves prédateurs, détalant ventre à terre, se laissant égorger au terme d’une course folle, la jugulaire tranchée et le flanc palpitant. Il faut donc là entendre qu’on est une jolie proie.
Louve : c’est déjà mieux. La louve vit en bande, sait défendre sa meute, elle chasse, est dangereuse. Ce n’est donc pas toujours vraiment un compliment. La louve a mauvaise presse, elle vous tranchera la gorge sans trop négocier.
Moule, crevette, baleine, sardine, morue et thon : on sent très fort l’étal de poissonnerie pas fraîche, rien qu’à les aligner. Les animaux de mer restent péjoratifs sans qu’on sache bien pourquoi.
Puce : petite, sautillante, mais surtout invasive.
Mante religieuse : toujours une insulte. Et pour cause, c’est la seule qui a compris que dans ce système, le moyen le plus efficace pour sa survie est que le mâle lui serve d’alimentation, après l’accouplement.
Chatte, panthère, tigresse, et enfin, lionne : des félines prédatrices, plus ou moins apprivoisables. Le choix du spécimen indique notre degré de domestication.
Comprenez donc le trouble qui peut nous envahir, à se faire interpeller tout au long de nos vies, avec ces substantifs du règne animalier. Cela défie toute tentative de raisonnement logique. Je veux dire : comment peut-on être à la fois une chienne et une lapine ? un poussin et une lionne ? une louve et une morue ?
Ça a commencé jeune, en ce qui me concerne. J’avais du poil aux jambes et du duvet aux bras, au bas du dos aussi, et une moustache visible. On m’appelait guenon, au collège, au lycée, jusqu’à ce que je m’épile, sacrifiant ma fourrure. Depuis, je suis glabre.

Devenir lionne, Wendy Delorme, 2023.

Devenir lionne

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