Salutations, les lecturovores !
Je dois bien admettre que, cette fois, j’ai eu du mal à trouver le roman dont j’allais vous partager les premières lignes. Il y en a bien un que j’avais en tête mais je trouvais le début bien peu convainquant. Finalement, j’ai regardé du côté de mes livres numériques et j’ai choisi Devenir lionne.
Bon dimanche à vous 🦁
Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡
PROLOGUE : UN BESTIAIRE
J’ai été et je suis tous les animaux.
Enfin, un certain nombre.
Poule, Poussin, Souris,
Cochonne ou Truie, Jument,
Gazelle, Biche, Lapine,
Louve, Chienne, Vipère,
Guenon,
Moule, Crevette, Baleine, Sardine,
Morue et Thon,
Puce, Mante religieuse,
Chatte, Panthère, Tigresse.
Et puis leurs variantes :
Bibiche, Bichette, Poulette,
Lapinette, Pupuce,
Minou, Minette, Chatasse,
Chiennasse,
Et j’en oublie.
J’ai même incarné quelques imaginaires : Dragon, Sphinge, et Licorne.
Chaque animale vient avec son lot de connotations et symboles implicites :
La chienne halète quand on la prend par derrière.
La vipère, venimeuse, médit de ses comparses.
La biche fait les yeux doux.
La lapine, un peu bête, se laisse caresser jusqu’à l’apoplexie.
Poulette, poule, poussin : ça se complique un peu. Les trois appartiennent à l’espèce des gallinacées, mais la connotation varie.
Poulette se veut mignon comme interpellation, est souvent précédé de l’adjectif possessif (ma poulette) connotant l’affection (ou bien le dédain, le mépris, voire la dérision), mais ça reste une volaille au cerveau minuscule, enfermée en basse-cour, à consommer rôtie.
La poule est plus mature, fera moins de manières, l’approche est plus directe et souvent tarifée. On peut en faire une soupe, sa carcasse donne du goût à tous les pot-au-feu.
Le poussin est petit, délicat, sans défense, il faut le protéger. C’est une ébauche de fille. Un qualificatif parfaitement adéquat pour enrober un peu la hiérarchie des sexes, tout en rappelant à l’ordre celle qu’il vient désigner (« Poussin, quand est-ce qu’on dîne ? Tu sais bien que j’ai faim quand je sors du bureau »).
Souris : sans commentaire (furtive, grise, un nuisible. Une vieille fille, en somme. Celle qui n’a pas trouvé à se faire encoupler).
Cochonne ou truie : tout dépendra bien sûr de l’intention de celui qui vous interpelle. La cochonne aime le sexe, c’est une fille facile. Elle baigne dans son auge, toute couverte de boue. C’est sale, d’aimer le sexe, faut-il entendre ici (le sous-texte implicite est qu’il faut aimer ça, mais ne pas l’afficher).
Jument : oui, j’ai mis bas, et comme beaucoup de femmes, j’ai la capacité d’un bon cheval de labour quant aux tâches domestiques. Comprenons par ici qu’on n’attend pas bien mieux de mon espèce que de se reproduire et labourer le champ (faire les courses, la vaisselle, les sols et la cuisine).
Gazelle : elle a une grâce certaine, tout en restant farouche. Gibier privilégié des fauves prédateurs, détalant ventre à terre, se laissant égorger au terme d’une course folle, la jugulaire tranchée et le flanc palpitant. Il faut donc là entendre qu’on est une jolie proie.
Louve : c’est déjà mieux. La louve vit en bande, sait défendre sa meute, elle chasse, est dangereuse. Ce n’est donc pas toujours vraiment un compliment. La louve a mauvaise presse, elle vous tranchera la gorge sans trop négocier.
Moule, crevette, baleine, sardine, morue et thon : on sent très fort l’étal de poissonnerie pas fraîche, rien qu’à les aligner. Les animaux de mer restent péjoratifs sans qu’on sache bien pourquoi.
Puce : petite, sautillante, mais surtout invasive.
Mante religieuse : toujours une insulte. Et pour cause, c’est la seule qui a compris que dans ce système, le moyen le plus efficace pour sa survie est que le mâle lui serve d’alimentation, après l’accouplement.
Chatte, panthère, tigresse, et enfin, lionne : des félines prédatrices, plus ou moins apprivoisables. Le choix du spécimen indique notre degré de domestication.
Comprenez donc le trouble qui peut nous envahir, à se faire interpeller tout au long de nos vies, avec ces substantifs du règne animalier. Cela défie toute tentative de raisonnement logique. Je veux dire : comment peut-on être à la fois une chienne et une lapine ? un poussin et une lionne ? une louve et une morue ?
Ça a commencé jeune, en ce qui me concerne. J’avais du poil aux jambes et du duvet aux bras, au bas du dos aussi, et une moustache visible. On m’appelait guenon, au collège, au lycée, jusqu’à ce que je m’épile, sacrifiant ma fourrure. Depuis, je suis glabre.
Devenir lionne, Wendy Delorme, 2023.

Devenir lionne
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