Premières lignes #417

Salutations !
Après avoir adoré Les Aiguilles d’or de Michael McDowell (surtout connu pour sa saga Blackwater), j’ai craqué pour Katie, un roman initialement publié en 1982 et que les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont sorti le 19 avril dernier en France avec une sublime couverture dessinée par Pedro Oyarbide. Je souhaite terminer quelques lectures avant de m’y plonger, et lire quelques romans que j’ai emprunté, mais il me tarde de découvrir qui est cette fameuse Katie, apparemment aussi douée pour la voyance que pour les coups de marteaux. Je n’ai donc pas pu résister à vous en partager les premières lignes – clairement, la petite Katie prend déjà un mauvais chemin. C’EST BRUTAL, AYEZ LE CŒUR BIEN ACCROCHÉ.
Et bon dimanche à vous.

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

PROLOGUE

À la veille de Noël 1863, au plus fort du conflit entre les États du Nord et ceux du Sud, une petite fille de neuf ans nommée Katie Slape était assise devant l’âtre d’une chambre à louer miteuse de Philadelphie. Elle habillait sa poupée de bouts de gaze, de fentelle et de tissu argenté – matériaux étrangement précieux dans cet endroit sombre et sordide.
Le vent froid de décembre s’engouffrait par le conduit de la cheminée et projetait de temps en temps de la suie sur la petite et son jouet. Katie souriait, soulevait sa poupée et en faisait tomber la cendre.
À la table de cette pièce misérable, se trouvait une femme d’une trentaine d’années, aux traits durs, sans la moindre trace de gentillesse dans le regard. Hannah Jepson s’occupait de Katie tandis que sa mère, connue sous le nom de scène de « Mademoiselle Désir », se produisait à l’Olympic Theater. Son père avait été engagé comme « sauvage du rail », soit pour bâtir des voies ferrées pour la Grande Armée de l’Union en Pennsylvanie et dans le Maryland, soit pour saboter celles des rebelles en Virginie et dans le Tennessee. Katie ne l’avait pas revu depuis plus d’un an.
Par terre, à côté de Hannah Jepson, se trouvait un cageot dans lequel jappaient et chahutaient huit bébés caniches ; et sur la table, un grand pichet de l’alcool le moins cher du marché. Hannah y prélevait le liquide toxique à l’aide d’une seringue, puis prenait un chiot sur ses genoux avant d’expédier la dose dans sa petite gorge. Elle répétait la manœuvre avec chaque caniche. Les chiots s’étouffaient et chouillaient sur son tablier en luttant contre sa poigne vigoureuse – mais la majeure partie du liquide restait dans leurs ventres ballonnés.
« Pourquoi tu fais ça ? lui demanda Katie.
— Ça les empêche de grandir, répondit-elle sèchement.
— Pourquoi tu veux les empêcher de grandir ? insista la petite.
— C’est pour les dames de la haute. Elles veulent pas de chiens plus gros que ça. Donc, j’arrête leur croissance. Tu leur donnes du gin, et ils grandissent plus. Ceux qui survivent », dit-elle en haussant les épaules.
Katie observait l’opération avec beaucoup d’intérêt.
« Tu as déjà vu M’man danser ?
— Non, répondit la femme.
— Quand P’pa était là, on allait la voir tous les soirs, dit Katie en désignant sa boîte avec les bouts de tissus. Ça vient de ses costumes. Elle en porte de très beaux, soupira-t-elle. Regarde, j’ai habillé ma poupée exactement comme elle. Je l’appelle Mademoiselle Désir, comme sur les affiches. »
Elle montra sa poupée et Hannah hocha la tête. Ce n’était pas vraiment quelqu’un qui appréciait les enfants, mais Katie Slape lui déplaisait moins que la plupart.
« Tu veux m’aider ? », lui demanda-t-elle.
La petite se leva aussitôt. Hannah remplit la seringue de gin et la lui donna. Katie sourit, prit un chiot et lui fourra l’embout dans la gorge. Elle appuya sur la pompe et sourit à nouveau.
L’animal tressauta et se convulsa, ses quater pattes s’écartèrent avec une soudainement comique qui les fit rire gaiement toutes les deux. Puis il recracha le gin sur la robe de Katie ; l’alcool était mêlé de sang.
« T’as poussé trop fort. T’as dû lui faire un trou dans le ventre.
— Ma robe ! s’écria la gamine en baissant les yeux. Ce chien m’a tout sali ma robe !
— Il va pas vivre », dit Hannah en observant le chiot boursouflé.
Katie leva le poing très haut au-dessus de la table et l’abattit sur le ventre offert du chiot. Il y eu une sorte de pop ! et l’animal sembla se dégonfler. De petits filets de sang et d’alcool coulèrent de sa gueule et d’une fissure qui s’était ouverte entre ses minuscules pattes avant.
Katie releva la fenêtre à guillotine battue par le vent et jeta le chiot agonisant dans la cour, deux étages plus bas.
Elle se retourna vers Hannah : « Mais qu’est-ce que M’man va dire pour ma robe ? », demanda-t-elle?

Katie, Michael McDowell, 1982.

Katie

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