Celle qui parle aux corbeaux

Celle qui parle aux corbeaux

Résumé de la maison d’édition :

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Mon avis :

Plusieurs choses à savoir avant de parler de ce roman : Celle qui parle aux corbeaux a reçu le prix Miles Franklin en 2019 ; l’autrice, Melissa Lucashenko est Bundjalung (une native d’Australie) et les violences que ses personnages peuvent vivre dans le récit, ce sont ses proches (ami·es, famille…) qui les ont vécues : son œuvre est une fiction mais elle s’inspire du réel. Et, croyez-moi, des violences, il y en a dans cette histoire.
Kerry Salter rentre à contrecœur dans sa ville natale, Durrongo. En effet, son grand-père vient de mourir et elle doit donc se rendre aux funérailles. Elle y retrouve son grand-frère alcoolique et violent, sa mère qui lui passe tout à lui mais pas à Kerry, son neveu anorexique… Dans la foulée de ces retrouvailles et des funérailles, la famille Salter apprend que le maire (un homme blanc en quête de pouvoir et n’agissant que dans son intérêt) compte construire une prison sur l’île d’Ava, un lieu sacrée pour la famille puisque c’est là que leur ancêtre, fuyant des Blancs, s’est réfugiée pour accoucher.
Bon, déjà, j’ai lu tout le bouquin et je ne comprends pas le choix du titre français : Kerry ne parle qu’une seule fois avec des corbeaux. Avec un tel titre, je m’attendais à ce que ce soit plus souvent le cas. Mais bon, soit, un mauvais titre, ça ne veut pas dire une mauvaise histoire. D’ailleurs, elle est bonne mais, je ne vais pas vous mentir, j’ai failli abandonner et je vais vous révéler quelques éléments (pas très importants pour l’intrigue, je vous rassure) pour que vous compreniez : Kerry nous est présentée comme lesbienne, elle le dit elle-même a plusieurs reprises, hélas sa copine vient de partir en taule pour cinq ans. Mais voilà qu’au bout de quelques semaines à Durrongo elle croise un beau gosse super musclé de partout et, là, il se passe deux choses : la première est que Kerry tombe en pâmoison et ne pense plus qu’à coucher avec ce mec (Steve), oubliant d’un coup la femme de sa vie. La seconde est que cette réaction de la jeune femme a une conséquence  importante sur le récit : il ne tourne plus qu’autour de ce désir et de son assouvissement pendant un moment, reléguant la famille Salter et ses problèmes au deuxième ou troisième plan, allez savoir – en fait, on n’a pratiquement plus que des descriptions physiques et de l’érotisme. Or, moi, si je lisais Celle qui parle aux corbeaux, c’était pour la famille, pas pour les histoires de fesses. Ca m’a franchement gavé et il faut ajouter à cela que l’héroïne lesbienne qui se retrouve d’un coup avec un mec parfait, ça a de quoi questionner : est-ce une négation de la bisexualité (et donc de la biphobie – intériosée ou assumée, je ne sais pas) ou bien le cliché éculé (et lesbophobe) de la lesbienne qui attend juste de rencontrer le bon mec ? Et ça, y en a marre. Honnêtement, même sans ces interrogations, je n’ai juste pas compris le cheminement de Kerry quant à ce désir : elle clame haut et fort qu’elle est lesbienne, qu’elle est gouine, mais dès qu’elle croise le dénommé Steve, elle ne se pose pas de questions. Elle a environ trente-cinq ans, elle n’a apparemment été attirée que par des femmes jusqu’à présent… et elle fonce dans le tas. A ce sujet, je reste vraiment confuse, d’autant plus que, bien abordé, bien amené, ça aurait pu être intéressant, après tout.
Toutefois, j’ai bien fait de m’accrocher et de ne pas abandonner car, finalement, on en revient à la famille et, pour le coup, cette partie avait beau être terriblement dure, elle était super. Il y est bien sûr question de racisme mais, surtout, on parle des Salter en tant qu’un groupe mais aussi des membres individuellement. On découvre leurs faiblesses ainsi que leurs véritables forces, parfois cachées sous une montagne de doutes et de peurs ; on apprend à les connaître et, par leur biais, on a une image de la vie des Aborigènes en Australie. Et ce n’est pas joli. Un peu comme aux USA, on y retrouve la misère, la survie dans une société qui ne veut pas d’eux, les violences, l’alcoolisme, le mal-être… Melissa Lucashenko nous sert là un récit fort avec des personnages que l’on peut ne pas aimer tout en comprenant leurs actes (enfin, pas toujours…) : vivre dans l’indigence, mener une vie de galères, de détresse, ça ne pousse pas particulièrement au bonheur.  A côté de ça, le maire est exécrable de A à Z mais ce n’est pas parce qu’il est blanc, c’est juste parce qu’il ne pense qu’à son profit, son intérêt personnel et ce au détriment d’autrui. Ainsi l’autrice nous sert des personnages intéressants (excepté Kerry pour qui il manque clairement un développement, une réflexion), complexes, vivants et touchants  (y compris Kerry, cette fois – et seulement la famille Salter, pas le maire, bien sûr).
Dans les avis que j’ai pu lire sur le net, il est souvent reproché le langage grossier. Et c’est vrai que c’est grossier mais pas plus qu’un roman de Despentes et, surtout, ça colle aux protagonistes et à leur vie qui nous sont présentés. En vérité, j’ai même trouvé que ça apportait un plus à la touffeur du récit, à la caractérisation de certains personnages. C’est clair que, si vous pensez trouver là une vision poétique de la vie aborigène en Australie, vous faites totalement fausse route. Ici, on est dans le vécu, dans le réalisme bien que Celle qui parle aux corbeaux reste une fiction.

Il y a des facilités, dans cette histoire, mais si vous êtes prêt·es à faire l’impasse sur les points négatifs (qui concernent l’héroïne), je vous conseille Celle qui parle aux corbeaux car, malgré tout, il y a de bonnes choses, beaucoup d’humanité derrière toute cette misère et cette haine. Ce roman aurait pu être meilleur, il n’en reste pas moins bon.

Celle qui parle aux corbeaux, Melissa Lucashenko • Titre VO : Too Much Lip • Traduction : David Fauquemberg • Editions Seuil • 2023 (VO 2018) • 432 pages • 23€ • Genre : littérature australienne, famille • ISBN : 9782021506419

6 réflexions sur “Celle qui parle aux corbeaux

  1. Les paravers de Millina dit :

    Effectivement c’est bizarre ce choix de titre mais surtout ce revirement total de l’héroïne. Je ne comprends pas non plus. Je dis pas que l’on puisse être ni le découvrir sur le tard. Ça été le cas du père d’une amie mais on se pose plus de questions et ça ne se base pas que sur le physique. Melissa Da Costa le fait très bien dans Je revenais des autres. Et puis on ne renie pas sa sexualité d’avant. C’est étrange. Je pense que ça m’aurait gêné autant que toi. Puis faire la croix sur une relation stable comme ça quelque soit son orientation sexuelle sonne faux. Je trouve. Passe ce détail les histoires aborigènes me plaisent et m’interroge. Je note le titre (peu judicieux) mais je prends note merci pour la découverte.

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