Premières lignes #402

Salutations !
Voilà, je lis un autre titre de Becky Chambers (que dis-je ? Je le dévore, il sera terminé dans la journée) et j’ai voulu vous partager ces premières lignes car, d’emblée, elles m’ont happée : il y a ce sentiment que l’on s’adresse directement à nous et ça fonctionne très bien puisque, me concernant, je me suis demandée ce que l’on voulait me raconter et pourquoi on avait besoin que je lise cet appel. Je vous laisse désormais le découvrir.
Bon dimanche à vous.

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

Veuillez lire ceci

Si vous ne lisez qu’un document parmi ceux que nous avons envoyés, que ce soit celui-ci. Je vous le demande en sachant fort bien que je déroge à mes convictions profondes. C’est dans les rapports que se trouvent nos conclusions scientifiques, et c’est ici la science le plus important, de loin. Mon équipage et moi sommes secondaires. Tertiaires, même.
Malgré tout, il est capital pour nous que quelqu’un reçoive ceci.
Ne vous pressez pas. Ce fichier aura mis quatorze ans à atteindre la Terre et, si nous avons la chance que quelqu’un le lise immédiatement et réponde sans tarder, il repartira pour quatorze autres années. Donc, bien que nous ne puissions pas attendre éternellement, l’urgence est ici relative, comme souvent dans les voyages intersidéraux.
Vous pourriez lire la fin directement, c’est vrai. Vous ne seriez pas le premier et, honnêtement, c’est là que se trouvent les observations les plus lourdes de conséquences. Et peut-être, si vous savez déjà qui nous sommes et ce que nous faisons, si vous êtes de ceux qui nous ont envoyés ici, vous comprendrez quand même. Pourtant, je pense que le pourquoi de notre requête est important. Naturellement, je ne suis pas objective, et pour deux raisons : non seulement ce rapport parle de mon équipe et moi, mais nous sommes des scientifiques. Les pourquoi sont notre raison d’être.
Cela fait cinquante ans que nous avons quitté la Terre, et je ne sais pas quels yeux et quelles oreilles mon message a trouvés. J’ignore à quel point une planète peut changer en l’espace d’une vie. Les causes varient et les souvenirs se brouillent. Je ne sais pas non plus ce que vous connaissez personnellement de l’univers autour de notre planète. Peut-être comptez-vous au nombre de ces gens capables de réciter l’histoire de la conquête spatiale mieux encore que moi et qui partagent mes aspirations. À moins que vous ne viviez pas dans la même sphère que moi. Peut-être tout cela sonne-t-il à vos oreilles comme une langue étrangère. Quand j’évoque une exoplanète ou une naine rouge, comprenez-vous ? Je ne vous teste pas et, si ces mots ne vous évoquent rien, ne je vous en veux [sic] certainement pas. Au contraire, c’est à vous que je veux parler, autant qu’à mes collègues – davantage, presque. Si je ne pose ma question qu’à ceux qui partagent mon point de vue fondamental, mes rêves, mon langage, il ne sert à rien que je la pose.
C’est pour cette raison que je vais m’efforcer de parler à l’expert autant qu’au novice. Pour cette raison aussi, il me semble important de commencer par le commencement afin de bien poser les fondations de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je ne ferai sans doute pas preuve d’objectivité. Je vais probablement parfois me contredire.
Mais je promets de dire la vérité.
Je m’appelle Ariadne O’Neill, et je suis l’ingénieure de vol à bord du Merian, un vaisseau du GAO. J’ai pour collègues les spécialistes de mission Elena Queseda-Cruz, Jack Vo et Chikondi Daka. Nous faisons partie de Lawki, un vaste programme d’étude écologique des exoplanètes – c’est-à-dire des planètes qui ne sont pas en orbite autour de notre soleil – qui abritent la vie ou sont susceptibles de l’abriter. Lawki 6, notre mission, porte sur les quatre planètes habitables en orbite autour d’une naine rouge, Zhnyi (BA-921) : Aecor, une lune glacée, et les planètes terrestres Mirabilis, Opéra et Votum. Je me trouve actuellement sur cette dernière.
Je suis née en Cascadie le 13 juillet 2081. Ce jour-là, cela faisant cinquante-cinq ans, huit mois et neuf jours qu’il n’y avait pas eu d’être humain dans l’espace. J’ai été la deux cent quatrième personne à y retourner. C’était avec le sixième équipage extrasolaire. Si je vous écris, c’est dans l’espoir que nous ne soyons pas les derniers.

Apprendre, si par bonheur, Becky Chambers, 2019.

Apprendre, si par bonheur

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10 réflexions sur “Premières lignes #402

    • Ma Lecturothèque dit :

      J’ai été très surprise par ce texte car, après avoir lu « Histoires de moine et de robot », je ne savais pas à quoi m’attendre. Après quelques pas hésitants (non pas avec ce prologue qui m’a beaucoup plu mais avec le premier « vrai » chapitre), j’ai finalement été captivée et prise par le récit, embarquée dans le voyage ! Et l’ayant terminé dans la soirée de dimanche, je comprends désormais ton émotion 💜

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