Premières lignes #414

Salutations !
Nouveau dimanche, nouvelles Premières lignes ! Je vous propose cette fois de découvrir celles de La nuit de Walpurgis de Gustav Meyrink. Au cours de mon week-end à Lyon, je suis tombée sur une boîte à livres et c’est ainsi que j’ai découvert ce roman. Je ne l’ai pas encore commencé si ce ne sont ces premières lignes, pour me faire une idée du livre. C’est un début un peu étrange avec ce chien qui semble indiquer une menace à venir et ces vieilles personnes très aisées qui vivent dans leur monde où l’on ne dit pas les mauvaises choses. Je me demande quel sera l’impact de ces personnages, qui semblent quelque peu particuliers, dans cette histoire.
Bon dimanche à vous.

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

I

L’ACTEUR ZRCADLO

Un chien aboya.
Une fois. Deux fois.
Puis, silence total, comme si l’animal tendait l’oreille dans la nuit, aux écoutes de quelque chose qui allait se produire.
« Il me semble que Brock a aboyé » dit le vieux baron Constantin Elsenwanger. « C’est probablement le Conseiller qui arrive. »
« Ce n’est pas, que je sache, une raison pour aboyer » s’exclama sévèrement la comtesse Zahradka, une vieille dame aux boucles d’un blanc de neige, au nez en bec d’aigle avec d’épais sourcils au-dessus de ses grands yeux noirs inquiets. Indignée comme par une inconvenance, elle se mit à battre un paquet de cartes de whist plus rapidement encore qu’elle ne le faisait depuis une grande demi-heure.
« Mais qu’est-ce qu’il peut bien faire toute la sainte journée ? » demanda le médecin de la Cour Thaddée Flugbeil, un homme au visage intelligent, rasé de près, plissé, au-dessus du jabot de dentelle à l’ancienne mode, qui se tenait recroquevillé dans un fauteuil à oreilles en face de la comtesse, pareil au fantôme de quelque lointain ancêtre, ses longues jambes maigres, interminables, remontées jusqu’au menton à la manière d’un singe.
Le « Pingouin », comme l’appelaient les étudiants de Hradschin qui riaient toujours de lui derrière son dos lorsque chaque jour, à midi précis, il montait dans le fiacre fermé dont il faisait d’abord rabattre puis refermer laborieusement la capote avant qu’il pût y installer sa personne de près de deux mètres de haut. L’opération était tout aussi compliquée à la descente, quant la voiture s’arrêtait ensuite quelques centaines de pas plus loin, devant l’auberge « Au Schnell » où le médecin de la Cour, avec les gestes saccadés d’un oiseau, avait coutume de picorer un déjeuner à la fourchette.
« De qui parles-tu » repartit le baron Elsenwanger, « de Brock, ou du Conseiller ? »
« Du Conseiller, naturellement. Qu’est-ce qu’il fait donc toute la sainte journée ? »
« Eh bien il joue avec les gosses de l’Institut Chotek. »
« Avec les gosses au féminin », rectifia le Pingouin.
« Disons qu’il s’amuse avec la jeunesse », intervint sévèrement la comtesse, accentuant chaque mot. Les deux messieurs se turent, confus.
Dans le parc, le chien recommença à aboyer. Cette fois sourdement, presque lugubrement.

La nuit de Walpurgis, Gustav Meyrink, 1917.

La nuit de Walpurgis

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