Premières lignes #287

Aujourd’hui, place à un livre sorti en début d’année 2021 et qui m’intrigue depuis : Viendra le temps du feu. En passant à la bibliothèque, je suis tombée dessus et j’en ai donc profité pour l’emprunter (il fera logiquement partie de mes prochaines lectures).
Ce roman de Wendy Delorme est décrit comme une dystopie féministe, autant dire que j’ai hâte de le découvrir !

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

ÈVE

Elles sont mortes, toutes. Elles étaient peu nombreuses et elles sont mortes, il n’y a pas de traces. Je les ai vues souvent, sans plus faire partie de leur groupe, leur cercle, leur assemblée. D’autres les ont vues. Certains se souviennent mais aucun ne sait ce qu’elles sont devenues. Je ne connais pas l’emplacement de leurs tombes. Je ne sais pas s’il y a des corps qui pourrissent sous terre, elles ont disparu.
Je ne sais pas si j’ai la force d’écrire cette histoire. Si je meurs avant de l’avoir racontée, c’est comme si elles n’avaient pas existé.
Il y avait Louve. Il y avait Maïna, Raquel et Grâce. Rosa et Francesca. Il y en avait d’autres. J’ai aimé Louve, plus que de raison, dès le début. Je l’observais. Elle était d’une beauté frappante et ne ressemblait à personne. Ne ressemblait à aucune de ces femmes que l’on trouve belles. Elle était d’une beauté sanguine, calme et féroce.
Penser à elles me saisit au centre du corps et une coulée de plomb m’emplit. Puis vient la nausée, puissante, quand je pense à la fuite. Il me faudra du temps.
Parfois je sens que je vais mourir. Je me sens mourir. Cela me prend une fois par jour au moins. Je me ressaisis parce que je sais qu’ils guettent. Il faut faire attention. Ne pas donner de signe de faiblesse. Il m’arrive d’oublier qu’ils sont nos ennemis. Au mieux je peux considérer qu’ils ne sont pas mes alliés.
Il n’y as plus lieu de dire « nous » car il n’y a plus que moi. Ça me donne le vertige de savoir cela et d’être seule à le savoir. Je les laisse penser que je suis parmi eux, quand je ne suis pas là mais dans un repli de mon âme où elles existent encore. Je leur laisse croire que nous sommes faits pareils quand la mémoire de ma peau conte une tout autre histoire.
Il y a eu la main de Louve sur ma nuque. Il y a eu son souffle et le mien entre nos bouches ouvertes l’une à l’autre. Entre nous, l’oxygène a circulé. Y penser est une façon de lutter contre l’asphyxie.
Chaque jour je rassemble les morceaux de mon être. Chaque jour il m’est plus difficile d’effectuer ce geste de composition. Il me semble que bientôt je n’aurai plus la force mais il y a cette enfant que j’ai voulue, que j’ai portée, donc je n’ai pas le droit de mourir et chaque jour je rassemble les morceaux de moi épars.

Viendra le temps du feu, Wendy Delorme, 2021.

Viendra le temps du feu

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