Premières lignes #388

Bien le bonjour !
J’espère que vous allez toustes très bien malgré ces chaleurs assez insupportables.
Je vous présente aujourd’hui les premières lignes du Prince bâtard, le prélude à L’assassin royal (ou La citadelle des ombres) de Robin Hobb. J’ai commencé hier cette novella et ça me plaît bien 🙂
Petit point perso : je n’ai plus internet et ce jusqu’au 21 septembre. Là, je suis en partage de connexion grâce à mon téléphone mais je ne suis pas certaine que ce soit jouable jusqu’à la fin du mois, je vais donc peut-être mettre le blog en pause jusqu’au retour à la normale. Je me laisse encore la journée pour y réfléchir.

Le principe : chaque semaine, je prends un livre et je vous en cite les premières lignes du récit. Pensez à mettre le lien de votre RDV en commentaire de l’article ou, si vous avez une page ou une catégorie dédiée, n’hésitez pas à me le faire savoir ; cela facilitera l’actualisation.
N’oubliez pas de me citer, ça fait toujours plaisir ♡

 

PREMIÈRE PARTIE

La Princesse qui n’en faisait qu’à sa tête

C’est à la demande de Cardinal que moi, Félicité, j’écris ces mots. C’était un érudit, et il se fût chargé de cette entreprise lui-même si le destin lui en avait laissé le temps ; hélas, il n’en fut rien. Il m’a confié cette tâche en me priant instamment de respecter la vérité, comme il sied à la mémoire d’une ménestrelle tenue à l’objectivité, et d’écrire de ma plume la plus claire, car il souhaitait que chacun pût lire ce texte aisément l’année prochaine ou d’ici vingt ans. Il m’a aussi imposé de décrire des événements que je suis seule à connaître afin que, dans les années à venir, on ne puisse dire qu’il s’agissait de fantaisies de ménestrelle, d’embellissements ajoutés pour rendre l’histoire plus attrayante.
Je vais donc reproduire ce texte en deux exemplaires reliés, comme il l’a fait pour sa chanson, dont je ferai deux paquets ; l’un ira dans une cachette connue de moi seule, l’autre là où, selon Cardinal, il demeurera sans doute dissimulé pendant des années : la bibliothèque de Castelcerf. Ainsi, la vérité restera celée des jours, des semaines, voire des décennies, mais elle finira par sortir !
Ce récit est pour la majeure partie celui de Cardinal, mais j’y adjoindrai en préface une histoire dont lui-même ne sait pas tout, car c’est seulement lorsque nos deux chroniques sont placées côte à côte qu’on peut en saisir toute l’importance.
Cardinal était ménestrel et vérichanteur, tenu par son serment au roi de ne chanter que des chansons décrivant la réalité, l’histoire et les archives du royaume ; les contes mettant en scène des dragons, des farfadets et de jeunes vierges plongées dans le sommeil pendant cent ans n’étaient pas pour lui. Il avait pour tâche d’observer, de noter et de porter témoignage avec exactitude et clarté de ce qu’il avait vu, et seulement de ce qu’il avait vu. Je ferai honneur à sa profession et à sa morale, car les mots que je tracerai ne renfermeront que la vérité ; et, si cette vérité déplaît aux esprits de notre temps, du moins restera-t-elle là où quelqu’un pourra la découvrir un jour et apprendre quel sang coule dans la lignée des Loinvoyant.
Mon rôle dans cette histoire commence quand j’étais petite fille. Ma mère et moi étions présentes le jour du scellement de nom de la princesse Prudence Loinvoyant. La reine Capable était resplendissante dans une élégante robe verte et blanche qui mettait en valeur ses yeux et sa chevelure noirs ; le roi Viril portait le bleu de Cerf qu’exigeait l’occasion, et la jeune princesse était nue comme le voulait la coutume.
Âgée alors de six semaines, la princesse Prudence était une enfant en bonne santé aux cheveux courts, sombres et bouclés ; ma mère, sa nourrice, un couvre-lit surchargé de broderies et une couverture moelleuse dans les mains, attendait de recevoir la petite au sortir de la cérémonie. Je me tenais à ses côtés, vêtue comme je ne l’avais jamais été de ma vie, avec plusieurs gants de toilette blancs en cas d’accident.
Je n’écoutais pas les déclarations rituelles : à trois ans, je m’intéressais uniquement à ce qui allait arriver à l’enfant, selon ce qu’on m’en avait dit ; on la passerait dans le feu, on l’immergerait dans l’eau et on l’enterrerait pour sceller son nom et s’assurer qu’elle en exprimerait les vertus. Aussi, lorsque les flammes du brasero bondirent et que la reine leur tendit sa fille, je retins mon souffle, tiraillée entre la terreur et l’enthousiasme.
Toutefois la reine se contenta de la faire aller et venir dans la fumée ; une flamme lécha peut-être le petit pied rose, cependant la princesse n’eut pas un murmure de protestation. Moi, si. « Mais elle n’est pas passée dans le feu ! »
Ma mère posa la main sur mon épaule. « Chut, Félicité ! » fit-elle doucement, et elle appuya son admonestation d’un pincement sec.
Je serrai les dents et me tus ; à trois ans, je savais que le geste de ma mère annonçait bien pire en cas de désobéissance. Je vis que la reine submergeait à peine son enfant dans l’eau avant de l’en ressortir, et qu’on lui versait à peine une pelle de jardin de terre sèche sur le dos, sans jamais toucher sa tête ni son visage. La petite princesse parut surprise, mais ne pleura pas quand la reine la tendit à son père ; Viril la leva à bout de bras, et la noblesse des Six-Duchés s’inclina solennellement devant l’héritière Loinvoyant. Comme son père la redescendait, Prudence se mit à vagir, et il la rendit promptement à sa mère, qui la confia encore plus rapidement à la mienne. Nettoyée et emmitouflée dans ses couvertures, Prudence s’apaisa, et ma mère la retourna à la reine.
Je ne me rappelle pas grand-chose d’autre de cette journée, hormis une réflexion que j’entendis en passant devant des ducs. « Elle est restée si peu sous l’eau que les bulles n’ont même pas eu le temps de se détacher de sa peau. Son nom n’a pas été scellé sur elle. »

Le Prince bâtard, prélude à L’assassin royal, Robin Hobb, 2013.

Le Prince bâtard

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