La grande année des goètes

La grande année des goètes

Quatrième de couverture :

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Mon avis :

La grande année des goètes raconte l’histoire de sorciers qui, au XVIe siècle, comptent renverser la chrétienté à l’occasion de l’élection d’un nouveau pape. L’un de ces goètes, Angus Grey, fait une promesse supplémentaire à ses parents, le lord et la lady de Wildmore, tout en ayant un objectif bien personnel… Afin de pouvoir répondre aux attentes des un·es et des autres, le jeune homme se lie à un démon, Karb. A côté de cela, le vieux Bartley Blyth, prieur de l’abbaye de Westminster, part pour un voyage périlleux jusqu’à Rome afin de se racheter. Voilà deux hommes que tout oppose et dont les chemins vont se croiser – de quoi faire des étincelles.

Afin de parler au mieux de ce roman, je vais découper mon retour en trois parties qui seront plus ou moins égales : le livre en tant qu’objet, l’histoire et ses héros et, enfin, l’écriture. Si vous n’avez pas la foi de tout lire, rendez-vous en conclusion !

C’est une brique. Presque littéralement. Ce roman pèse environ 1,4 kg pour une hauteur de 21,4 cm, une largeur de 17 cm et un dos de 4,8 cm. Une belle bête qui claque dans la bibliothèque mais qui, une fois en mains, s’avère lourde, difficilement transportable. J’en ai, des romans-briques, mais jamais d’aussi pesants. Ajoutons à cela que, si vous avez des problèmes physiques (tendinites, douleurs cervicales et j’en passe), vous allez galérer à trouver une position confortable pour le lire. Ainsi, je me suis retrouvée avec un pavé que je ne pouvais lire que chez moi, assise à table ou bien dans un fauteuil, les genoux repliés pour soutenir le livre en hauteur – autant dire que ça fait pas mal de contraintes (me concernant) pour cette lecture. A ce stade, vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai décidé de lire un roman aussi énorme si c’était pour moi une si grande gêne. Eh bien il s’agit d’une masse critique Babelio (et je m’excuse pour le retard quant à ma chronique – un mois et douze jours pour le lire) ; j’avais bien vu que le livre comportait 743 pages mais bon, les pavés, ça me connaît et ça n’a jamais été un souci donc le nombre de pages ne me faisait pas peur. Si j’avais su, je ne me serais pas encombrée du livre physique, je n’aurais pas participé à la masse critique. Sincèrement, je pense que le corps du texte et son interlignage auraient pu être légèrement plus petits, que certains paragraphes auraient pu être un peu plus concis et le papier quelque peu plus fin afin d’alléger, avec tous ces « un peu », beaucoup le livre en tant qu’objet. Je vous conseille donc d’opter pour la version numérique (à 9,90€ si je ne dis pas de bêtises). Ah oui, mais est-ce que ça vaut le coup ?

Avec La grande année des goètes, Searth S. Cabal nous fait voyager du fin fond de l’Angleterre à Rome en passant par Paris, par les forêts germaniques… C’est une sacrée quête, que ce soit pour Angus Grey et les autres goètes de son cercle comme pour Bartley Blyth, prieuré un peu gauche et réservé. Le début du récit donne le ton avec l’invocation d’un démon et les sacrifices qui l’accompagnent mais, ce qui m’a le plus mise dans l’ambiance, c’est quand Blyth est sur la route, approchant de la demeure des lords et lady de Wildmore, la famille Grey. C’est un passage pesant et inquiétant et, si l’on ne voit pas grand chose, les histoires des locaux et notre imagination exacerbent notre inquiétude, quand bien même Blyth est un personnage principal et ne devrait donc pas subir de grandes souffrances dès les premiers chapitres.
Il y a pas mal de péripéties pour arriver à Rome et, une fois que nous avons rejoint la ville sainte, pas mal d’obstacles vont encore se dresser devant les personnages. Ce que je trouve dommage pour le coup, c’est que, m’attendant à ce que chaque mésaventure fasse avancer le récit et évoluer les personnages et leurs relations, je n’y ai pas tout à fait trouvé mon compte. Angus est exécrable ; des camarades, oui, des ami·es, non. Bon, de tels personnages à qui l’on s’attache finalement, ça existe mais pas là. Je n’ai pas ressenti grand chose pour le jeune homme si ce n’est un peu, à la fin. Alors que ses confrères et consœurs, que Karb ou même Blyth se sont attaché·es à lui, sincèrement ou par obligation, pas moi. Heureusement, il y a Blyth ; il est sympathique et s’il n’est pas ultra attachant, au moins l’est-il un minimum. Je crois que ce qui a cassé un peu mon intérêt pour le personnage, c’est la façon de nous présenter son passé et donc les failles et les faiblesses qui font de lui qui il est dans cette quête, et il en va de même pour les membres de la cabale. Il y avait de quoi se prendre d’affection pour M le Maudit, pour Valère, pour Simon, pour Blyth… mais, à chaque fois, leur propre histoire nous est racontée avec de gros sabots : vas-y que, dans un passage avec de l’action, je te plonge subitement dans un flash-back où je te raconte tout en détails ; vas-y que, alors que tu ne ressens pas le besoin de connaître le passé d’untel pour l’apprécier, on t’en raconte trop sur sa vie d’avant ; etc. Peut-être que pour certain·es d’entre vous, ça fonctionnera (c’est une formule qui marche en général) mais, en ce qui me concerne, j’ai trouvé que l’on nous en disait trop, que ça allait parfois trop loin dans le pathos. Après tout, on s’en moque de l’Orangina Rouge soit méchant, c’est comme ça qu’on l’aime et on n’a pas besoin de savoir pourquoi il est méchant ; de même ici, on n’a pas besoin de tout savoir sur le bout des doigts pour apprécier les personnages tels qu’ils sont. Par exemple, la relation qui unit M et le Corbeau est plutôt suggérée, on la comprend sans qu’il n’y ait besoin de tout nous décrire et ça marche très bien ainsi.
Pour en revenir au récit de La grande année des goètes, malgré quelques longueurs (pas autant que ce que j’ai pu lire dans d’autres avis, mais cela reste très subjectif) et malgré quelques moments de confusion (est-ce le récit qui est confus ou est-ce la fatigue qui m’a embrouillée ? je ne sais pas), c’est prenant. Bien que je ne me sois pas des masses attachée aux personnages, j’avais envie de savoir la suite de leurs péripéties, qui atteindrait son objectif et qui serait lésé ? Faudrait-il dire adieu à certains d’entre eux ? Cela semblait probable vu que le récit est assez sombre. D’un autre côté, il y a cet espoir qui m’a accompagnée tout au long des 743 pages, ce n’était donc pas plombant comme on aurait pu le penser en premier lieu. Certes, à un moment, l’histoire se traîne et n’apporte pas grand chose (à mon sens, ce sont des mésaventures censées faire évoluer les protagonistes mais, au final, si elles n’avaient pas été là, ça n’aurait pas changé tant que ça – et ça nous aurait fait gagner quelques pages donc quelques grammes!) ; j’avais hâte que le groupe arrive enfin à Rome. Mais voilà, c’est loin d’être désagréable à lire, d’autant plus qu’il y a le contexte : l’auteur se base sur la véritable Histoire pour la modifier, en faire une uchronie de fantasy et, ça, c’est assez chouette, on ne va pas se mentir !
Passons désormais aux personnages.
Je vous l’ai déjà dit, Angus Grey est très antipathique. Si j’ai pensé que, une fois lié au démon Karb (qui est curieux, fidèle, qui a visiblement envie de lui plaire et de lui faire plaisir), le jeune homme évoluerait, j’ai plutôt eu tort. Si j’ai bien compris, au prétexte qu’il est nécromancien, il a le cœur froid mais, pour moi, ce n’est pas une raison car, justement, il se retrouve lié à une entité. Que ça prenne du temps, oui, mais qu’il ne cesse d’agir en gamin qui pense surtout à lui, qui agit pour son propre intérêt, qui engueule Karb parfois sans raison particulière et qui ne montre pas la moindre once d’humanité (un nécromancien n’est-il pas un humain?), c’était trop pour que je l’apprécie. Karb, en revanche, est attachant bien que, sur la fin, le fait qu’il s’entête dans cette relation toxique avec son maître, ça en devient un peu lourd. Heureusement, des personnages tels que Bartley ou le mage Basilide apportent quelque lumière dans cette histoire ! Même si je me méfiais de Basilide d’Oronte, je l’ai tout de suite apprécié avec son côté charmeur, ses connaissances et sa passion pour l’Orient ; malgré ce que j’ai pu dire sur le prieur, il n’en reste pas moins un brave homme et j’avais envie de le voir réussir dans sa mission. M le Maudit, quant à lui, est une figure emblématique et redoutable parmi les sorciers. Il a réussi à mettre en place une cabale de grande envergure afin d’atteindre son but. Le seul moment où il m’a quelque peu déçue, c’est durant une scène de jalousie car j’ai trouvé que ça ne lui ressemblait pas et que ça n’apportait rien d’intéressant au récit. Et puis il y a le discret Simon (plaisant quoique effacé) et la puissante Valère sur qui on peut compter, qui apportent leur propre magies, leurs talents au cercle de M. Enfin, il y a le Lancier – de l’Ordre de la Lance, bras armé de l’Église – qui tente de les arrêter. Si je pensais que son objectif était clair, eh bien pas tant que ça et, au final, je n’ai pas bien compris. Je suis d’ailleurs incapable de vous le décrire si ce n’est que c’est une sorte de paladin armé d’une lance. Ce qui m’amène à parler de l’écriture et de la narration.

J’ai apprécié ma lecture mais il m’est arrivé, à plusieurs reprises, de ressentir une certaine confusion. Dans ce roman, nous suivons plusieurs personnages – notamment Bartley et Angus – et il m’est arrivé de ne pas trop savoir de qui il était question sur le moment. Vous savez, ces chapitres qui ne donnent pas immédiatement de nom et qui laissent planer le doute ? Sauf que le doute ne subsiste généralement pas plus de quelques lignes or, là, si. C’est quelque chose d’intéressant quand il s’agit de Karb et d’Angus puisque ces deux-là sont liés et, ainsi, s’ils font l’effort, ils peuvent ressentir ce que ressent l’autre, voir ce que voit l’autre… Mais quand on en vient à ne plus savoir qui l’on suit en-dehors de ces deux-là, c’est dommage.
Il se trouve que la confusion vient également dans quelques scènes d’action. Que les personnages ne comprennent pas bien ce qu’il se passe, c’est un fait. Que les lecteurs et lectrices sortent les rames pour comprendre à leur tour, pfiou ! Voilà un roman exigeant (« exigeant » ne veut pas dire « mauvais », entendons-nous bien) tant dans le récit que dans son vocabulaire. Si « fenêtres géminées » peut se comprendre par la simple logique (deux mêmes fenêtres très proches l’une de l’autre mais qui ne se touchent pas), des termes comme « amuï » (devenir muet, d’après ce que j’ai trouvé) sont toutefois moins compréhensibles si on ne les a jamais rencontrés. Et, pour être honnête, si j’ai d’abord fait l’effort de chercher les définitions de ces mots, j’ai vite abandonné. Qui a envie d’interrompre sa lecture toutes les quelques pages ? Pas grand monde. Ca peut arriver de temps en temps, ce n’est pas un souci, mais trop, c’est trop. Comme je n’ai donc pas compris certains termes (qui n’ont rien à voir avec les arts occultes, donc rien de bien spécifique), il est possible que ça ait apporté une certaine confusion dans ma lecture. Je n’en suis toutefois pas certaine car c’était souvent pour nous décrire des lieux, des expressions physiques… Enfin voilà, c’est un texte exigeant, on ne peut le nier.

Malgré tout le négatif, La grande année des goètes n’en reste pas moins une lecture appréciable. Exigeante, oui, mais aussi plaisante ; le contexte est bien trouvé et les personnages nous embarquent dans une quête dont on souhaite voir l’aboutissement – pour la cabale ou pour Bartley Blyth ? A vous de voir (moi, c’était un peu les deux, j’avoue). Alors à lire ? Oui, si vous êtes prêt·es à vous plonger dans un roman de cette envergure (optez pour la version numérique, ainsi vous pourrez avancer et vous immerger plus facilement dans le récit qu’avec la brique papier).
Bonne lecture à vous.

EDIT : je crois que « fenêtres géminées » n’est pas employé dans ce roman mais cela vous donne une idée.

La grande année des goètes, Searth S. Cabal Open Strange Doors • 2023  • 743 pages • 24,90€ • Genre : fantasy historique, cabale • ISBN : 9782493416018

Ce livre participe au Challenge de l’Imaginaire.

13 réflexions sur “La grande année des goètes

  1. tampopo24 dit :

    Merci pour cette chronique que j’attendais avec une certaine impatience ayant suivi tes galères de lecture de ce pavé au fil des semaines.
    Je suis partagée au final car si tu sembles avoir aimé il y a des éléments qui me semblent trop classiques voire tape à l’oeil et je ne suis pas sûre d’apprécier.

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  2. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Ah, ça y est, la fameuse brique est terminée 😂 Je t’avoue que ça me tente beaucoup, mais pas en physique, je n’aurai pas la possibilité de le lire malheureusement…

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