Écrire à l’encre violette – Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours

Écrire à l’encre violette – Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours

Quatrième de couverture :

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Mon avis :

Écrire à l’encre violette – Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours est un ouvrage écrit par cinq personnes afin de nous parler, comme son sous-titre l’indique si bien, des littératures lesbiennes en France, du début du XXe siècle à 2022, date de parution du livre. Bien sûr se pose la question de savoir ce que sont les littératures lesbiennes, qui sont les personnes qui écrivent des livres lesbiens. Autant vous dire que les hommes hétérosexuels ayant écrit des romans érotiques lesbiens passent à la trappe. Mais ce que l’on veut surtout savoir en lisant cet ouvrage (tout du moins ce que moi j’ai voulu savoir), c’est à quoi ressemblent ces fameuses littératures lesbiennes évoquées dans le titre. Des livres lesbiens, j’en ai déjà lu, qu’il s’agisse d’urban fantasy (Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires) de Lizzie Crowdagger), de romance (Magie boréale de Clémence Albérie, Fiancée sous contrat de Jae, The Wrong McElroy de K. L. Hughes), de poésie (les Poèmes choisis de Renée Vivien), etc. Mais voilà, j’étais curieuse de voir s’il y avait matière à théoriser dessus et de pouvoir découvrir d’autres titres, d’autres autrices (et donc augmenter considérablement ma pile à lire ce qui, vue sa taille, n’est franchement pas bien malin). Écrire à l’encre violette a répondu à mes attentes et je vais vous résumer brièvement les différentes parties pour que vous ayez conscience du travail qui a été fait et de son importance, aussi pour vous donner une idée de ce que vous lirez dans cet ouvrage.

Camille Islert a écrit deux chapitres, l’un allant de 1900 à 1915, l’autre de 1915 à 1940. On observe d’abord le silence, les non-dits ; la façon dont les autrices vont se réapproprier la littérature, les personnages et leurs amours ; l’évolution vers une forme d’âge d’or pour les femmes privilégiées qui s’affirment, se montre… mais aussi toute l’ambivalence de l’entre-deux-guerres où l’on constate une stigmatisation plus forte, où certaines écrivaines hétérosexualisent leurs personnages afin de vendre leurs livres.
Viennent ensuite les années de 1943 à 1969 et 1969 à 1985 dont nous parlent Alexandre Antolin et Aurore Turbiau. Je mélange un peu tout cela car j’ai lu ces parties d’une traite et ça s’est finalement fondu dans mon esprit, ce malgré les notes que j’ai pris. Ce sont des périodes de censure et d’entraves mais pas seulement. Il est notamment question de Monique Wittig et de son roman L’Opoponax que j’avais trouvé assez exigeant ; il est justement question de cette exigeance et l’on constate alors que, s’il était fréquent de trouver des autrices lesbiennes plutôt portées politiquement à droite et aisées écrire des romans, de la fiction, celles de gauche étaient plus tournées vers les essais – un paradigme étrange quand on sait que ce qui se vend le mieux sont les romans mais, pour celles-ci, les idées l’emportent. Hélas, les essais ou les romans qui tentent de révolutionner la littérature (comme c’est le cas pour Wittig) ne sont pas des plus accessibles et touchent alors un public restreint, intellectuel.
Turbiau enchaîne avec les années 1986 à 2000 et la naissance de maisons d’édition lesbiennes en France, la façon de transmettre ces littératures et de constituer une mémoire collective autour des textes. C’était très intéressant et l’on ne peut que constater le travail considérable de certaines personnes pour conserver cette mémoire.
Manon Berthier fait le grand écart temporelle pour nous parler des littératures de l’imaginaire (la science-fiction, la fantasy et le fantastique) d’environ 1924 à 2022. L’évolution des personnages lesbiens a sacrément évolué et, là où Carmilla, personnage éponyme du roman de Sheridan Le Fanu, était une terrifiante et envoûtante vampire, on se retrouve avec des héroïnes qui peuvent encore être des monstres mais bien plus sympathiques (je pense par exemple à la vampire Morgue dans Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires) de Crowdagger : vampire, lesbienne et géniale). Il est également question de romans – de SF ou de fantasy, qu’importe – où il y a de l’espoir et de la douceur, de livres où les personnages vivent leurs amours sans craindre d’être jugés et des autrices comme Estelle Faye (avec sa duologie des Seigneurs de Bohen) sont citées. C’est assez fourni, bien développé mais, comme je vous le disais en introduction, je résume simplement (au passage, ça y est, ces romans de Faye ont enfin rejoint ma PAL).
Écrire à l’encre violette se termine avec le texte de Margot Lachkar qui revient sur les littératures lesbiennes dans ce début du XXIe siècles, avec l’imprégnation de la politique de plus en plus marquée. Il est également question d’intersectionnalité avec les femmes arabes et juives, qui semblaient jusqu’alors ne pas exister – gommées du paysage littéraire français. Lachkar parle aussi du manque de représentativité (cherchez le mot « lesbienne » sur une quatrième de couverture, cherchez des autrices qui ne soient pas les quelques-unes qui sortent du lot comme Virginie Despentes ou Constance Debré… en librairie comme dans les médias, les lesbiennes semblent effacées). Mais les livres, c’est aussi une fête, une célébration. Ainsi les littératures lesbiennes sont-elles toujours plus diverses et, s’il reste bel et bien des combats à mener, la voie semble tracée pour que nombre de nouveaux récits s’écrivent à l’encre violette.

Les littératures lesbiennes n’ont donc pas un genre figé et, comme d’autres littératures, elles évoluent et méritent reconnaissance. Écrire à l’encre violette est un livre très intéressant qui nous permet d’explorer de multiples pistes à travers plus de cent ans d’écrits. Les parties sont bien découpées, l’écriture entre chacune d’entre elle est fluide et la recherche et la documentation soutiennent les réflexions. C’est un ouvrage à lire.
Je termine par une mise en garde : votre liste d’envies (puis votre pile à lire) risque d’augmenter grandement – j’ai moi-même acheté une bonne dizaine de romans à la suite de cette lecture !

Écrire à l’encre violette – Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours, Aurore Turbiau, Margot Lachkar, Camille Islert, Manon Berthier et Alexandre Antolin Le Cavalier Bleu • 2022 • 292 pages • 21€ • Genre : essai, littératures lesbiennes • ISBN : 9791031805160

6 réflexions sur “Écrire à l’encre violette – Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours

  1. LadyButterfly dit :

    Oh, c’est vrai, je me souviens du perso de Carmilla chez LeFanu, j’avais totalement oublié… Pas génial, en plus Le Fanu ne m’a jamais passionnée.

    Bon, ce « écrire à l’encre violette » est dans ma wish-list et je vais regarder s’il est à la bibli. J’ai une femme lesbienne dans mon roman (le petit polar, Sken Lodge) pas en personnage principal, c’est vrai mais qui tient important auprès de l’héroïne. Et c’était intéressant d’en savoir plus sur la vie des femmes non-hétéros au début XXème… J’ai appris plein de choses, en tentant de respecter le contexte de l’époque (1908).

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  2. Vampilou fait son Cinéma dit :

    J’aime toutes formes de littératures et celle-ci en fait partie ! Effectivement, on peut la retrouver à travers différents genres, ce que j’apprécie grandement d’ailleurs…

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